Résultats des Européennes, comment s’étonner ?

Sentiment d’abandon, cri de colère

Les analyses ont été nombreuses et toutes montrent que bien au-delà du vieux fond de sauce de l’extrême droite, l’électorat du FN s’est élargi vers de nouvelles catégories sociales : celles qui, face à la mondialisation et à ses conséquences sur l’emploi, se sont trouvées désemparées. Le sentiment d’abandon a poussé à la désespérance et à la colère.

Notre République s’est donné pour devise Liberté, égalité, fraternité. Ils vivent dans une société où ces valeurs se sont peu à peu vidées de sens. Les inégalités s’accroissent de plus en plus, comme le montre avec beaucoup de justesse, l’équipe de Louis Maurin (Observatoire des inégalités). Quelle liberté vous reste-t-il quand vous êtes bloqués par le manque de ressources, par l’éloignement de tous les services qui vous seraient nécessaires ? Quant à la fraternité, qui ose encore en parler, quand Tout pour ma gueule est le principe de de vie le plus partagé avec la haine et le mépris de l’autre.

Les espoirs de 2012 n’ont pas été comblés pour le moment, tant la situation de notre pays était dégradée et la crise profonde, bien au-delà de nos frontières. L’impuissance à juguler la crise et la montée du chômage a généré une déception profonde, une perte totale de confiance envers l’action politique et la rancœur qui s’est manifestée dans les urnes le 25 mai.

Mais comment lutter contre la défiance alors que se généralise le discours du tous pourris qui englobe tous les acteurs de la vie publique ? Il est vrai que les affaires récentes ont encore dégradé leur image, qu’il s’agisse d’incartades personnelles ou de scandales financiers autrement plus graves. Qu’importe si la plupart de ceux qui s’engagent dans la vie publique sont des hommes et des femmes mus d’abord par le sens de l’intérêt général de quelque bord qu’ils soient. Mais le mal est fait ! Le désespoir et la souffrance trouvent là un exutoire facile et leur dégoût se manifeste dans les urnes.

Comment s’étonner ?

Oui, comment s’étonner justement quand les porte-parole de grands partis, élus eux-mêmes, ont banalisé les discours et les postures du Front National.

Le racisme par exemple. Tout le monde se souvient de Chirac évoquant « le bruit et l’odeur » de vos voisins immigrés (discours d’Orléans, 19 juin 1991 ), de Copé et de ses « pains au chocolat » (à Draguignan, 5 octobre 2012.) La liste serait longue de tous ces dérapages de la droite qui se dit « décomplexée. »

La stigmatisation des pauvres, chômeurs, immigrés, etc désignés comme des assistés. Le député Wauquier s’est fait le croisé de la lutte contre le « cancer de l’assistanat, » ce qui ne l’empêche pas d’appeler sa tendance la droite sociale. Pour donner un exemple de ce qui se diffuse dans le genre, il suffit de penser à ce tableau qui prétend comparer les ressources de deux familles de 5 personnes, l’une avec des revenus salariaux essentiellement et l’autre n’ayant d’autre ressource que les prestations sociales. La manipulation a été démontée ici et là. Malgré ces démentis, cette histoire et bien d’autres du même acabit continuent à tourner sur internet.

N’oublions pas non plus dans les thèmes communs au FN et à la droite prétendument modérée : la dénonciation des fonctionnaires, le refus de la dépense publique, la contestation de l’impôt... Sans oublier, au nom de la liberté, le rejet des règles... quand elles ne s’appliquent pas qu’aux autres.

La campagne des dernières élections a montré très clairement la contamination entre les thèmes du FN et celles de la droite plus banale, même quand elle se proclame a-politique !

En effet, vous avez lu et entendu qu’il y a « trop de logements sociaux » à Questembert (moins de 5 % !), ce qui explique la délinquance et les incivilités. D’ailleurs, il y a trop de « cas soc’ » et on leur paie les factures de gaz, d’électricité, d’eau, etc. Les impôts, forcément trop élevés, qu’on paie pour que les enfants des chômeurs et des assistés puissent manger gratuitement à la cantine.

Non, vraiment, aucune raison de s’étonner du score du FN, même à Questembert : chez nous comme ailleurs, par démagogie électoraliste, ou simplement parce qu’ils sont dans l’air du temps, les thèmes de sa propagande sont purement et simplement repris par la droite modérée. Sans même quelquefois en avoir conscience, comme ce maire du Morbihan cité par la presse : « Chez nous, les gens vivent essentiellement de l’agroalimentaire, ils ont de petits revenus et ont du mal à accepter de voir des personnes se plaindre et profiter des minimas sociaux. » Avec des mots bien polis, c’est exactement ce que diffusait le tableau comparatif que j’évoquais plus haut.

Alors, quelquefois, je rêve que les élus, les candidats, les militants politiques contribuent au débat citoyen en participant pour de vrai à l’éducation civique. Malheureusement, ce n’est qu’un rêve.