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Quitter son pays

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Des milliers de migrants, des millions même, tentent de quitter la misère de leurs pays avec l’espoir de gagner l’Europe, terre d’abondance, pays de cocagne dont les images de luxe leur parviennent, non plus comme dans le monde ancien par des récits de voyageurs qui pouvaient embellir leurs aventures merveilleuses, mais par les images immédiates diffusées par les télés qu’ils captent avec les paraboles tournées vers les satellites.

Ils partent au risque de leur vie par tous les moyens, des pirogues de pêcheurs, les soutes des navires ou des avions, les conteneurs des camions. Tous payent leur voyage au prix fort à des passeurs sans scrupules, beaucoup y laissent leur vie. Arrivés dans nos pays, ils sont exploités par les marchands de sommeil qui leur font payer à prix d’or des taudis insalubres, à moins qu’ils ne s’installent dans des bâtiments abandonnés et délabrés. Quand ils trouvent un travail, et c’est peut-être assez facile, car ils fournissent une main-d’oeuvre docile, corvéable à merci, ils sont là aussi soumis à l’exploitation sans limite. Je n’écris pas ces lignes dans le but de provoquer l’émotion ou la pitié mais parce que je crois que la question de l’immigration clandestine mérite qu’on y réfléchisse, d’autant que le gouvernement veut durcir encore les lois dans ce domaine, en flattant les sentiments primaires, le racisme et la xénophobie.

La nouvelle loi sur l’immigration, sous prétexte de contrôler l’arrivée des nouveaux migrants, va en fait accroître le nombre des clandestins : à côté d’un petit nombre d’immigrants « choisis », et très vite ce sera selon la couleur de peau, l’origine ethnique, ou la religion, il y aura toujours des candidats pour entrer chez nous, et quoi qu’on fasse, ils parviendront à s’installer chez nous. Ils seront eux aussi en situation irrégulière... Pour ceux qui sont déjà là, au lieu d’imaginer des solutions humaines, la procédure a conduit à très peu de régularisations, et surtout elle a provoqué des situations cruelles : des enfants privés d’école, séparés de leurs parents. Dans certains cas, on en renvoyé « chez eux » des gens qui n’avaient plus vraiment de « chez eux », sinon en France.

Si on durcit les règles, on développe la clandestinité. « Ce n’est pas une politique trop laxiste, mais une politique trop restrictive qui crée de l’illégalité », relève Catherine Vihtol de Wenden, directrice de recherche au CNRS. « Quand les frontières sont ouvertes, ajoute-t-elle, les gens circulent, font des allers-retours, quand les frontières sont fermées, ils se stabilisent. » Le ministre Sarkozy prétend donner un message de fermeté aux candidats à l’immigration clandestine, il fait semblant de croire que ce signal aura un effet dissuasif. En fait c’est plutôt à la frange la plus droitière et sécuritaire de l’électorat qu’il s’adresse à quelques mois de l’élection présidentielle.

Pourtant, « nous ne pourrons pas accueillir toute la misère du monde », disait Michel Rocard, mais il ajoutait dans la même phrase, ce qui n’est jamais cité « mais nous devons en prendre notre part ». Nous devons d’abord engager une politique volontariste d’aide au développement et non pas, comme c’est le cas aujourd’hui, appuyer des dictatures ou considérer les ventes d’armes comme un appui au développement. Mais cette politique ne donnera des résultats qu’à moyen ou long terme. Nous devons donc agir pour retenir chez eux les candidats au départ, et ici organiser méthodiquement l’accueil : mieux vaut avoir des étrangers identifiés que des clandestins. Et qu’on ne dise pas qu’ils vont aggraver le chômage ou creuser le déficit de la sécurité sociale : les clandestins sont des concurrents bien plus dangereux pour les travailleurs réguliers, et les dangers sanitaires sont sûrement bien plus importants que les coûts générés par les soins de base que nous devrions offrir.

En effet, nous ne pourrons pas indéfiniment nous enfermer dans notre forteresse. Pour résister à la pression des « barbares », les Romains avaient imaginé le limes, une ligne fortifiée sur toute leur frontière. Ils le faisaient d’ailleurs garder par d’autres « barbares », un peu plus romanisés que les autres... Notez que pour les Romains, le barbare, c’est celui qui ne parle pas le latin. Que pensez-vous qu’il advint du limes ? A peu près ce qui se passa sur la ligne Maginot. L’Empire romain succomba sous la poussée des peuples qui voulaient eux aussi vivre comme les Romains. Les frontières, les barrières, les contrôles ne suffiront pas à contenir la formidable pression des peuples qui envient notre richesse.

Pas plus que ne résisteront ces villes qui apparaissent chez nous sur le modèle américain des gated communities, des résidences cernées de murs, gardées par des vigiles, où l’on entre seulement en montrant patte blanche. Quartiers de riches qui aussi vont susciter des envies et qui seront pillés aux premières tensions sociales.

Au-delà de ces considérations, fondées sur la réflexion économique ou sur l’analyse historique, il faut poser aussi la question de l’éthique : à affirmer comme critère de base de la valeur humaine, la réussite, mesurée à l’aune du compte en banque, à considérer que celui qui n’a rien n’est rien, notre société conduit au refus de l’autre, au renfermement sur soi.

Attachés à de fausses patries, refuges identitaires cimentés au besoin par le fanatisme religieux, nous risquons de nous croire à l’abri derrière des frontières aussi fragiles que lelimes des Romains, au lieu de nous ouvrir au grand large de l’espérance de l’humanité

Publié le mardi 24 octobre 2006, par Paul Paboeuf.

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