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Pourquoi ces galéjades sur les 35 heures ?

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L’article « La compétitivité de la France » du 18 février dernier avait amené une réponse circonstanciée et, en particulier, un commentaire non polémique concernant les 35 heures par « Iciradiokerhostin » ; pour une fois les 35 heures n’étaient plus responsables de toutes les calamités qui s’abattent sur la France.

L’origine de l’article était une réponse à une étude de Rexecode , cabinet d’étude très proche du Medef, étude basée sur des chiffres faux comme l’a indiqué quelques semaines plus tard l’INSEE : le coût du travail en France est légèrement inférieur au coût allemand et non pas supérieur de … 23% que stipulait le cabinet ; Erreur ou propagande en période électorale ?.

Ancien délégué syndical CFDT, élu au CE pour le collège ETAM-Cadre, j’ai milité pour le passage aux 35 heures dans l’Entreprise Internationale où je travaillais comme informaticien. Depuis 1994, l’entreprise avait connu plusieurs fusions et rachats et nous nous apprêtions à négocier dans des conditions difficiles un 3ème plan social. Mais avant, suite à l’amendement Michelin, le passage aux 35 heures s’imposait.

J’avais mis comme condition que ce passage soit « donnant-donnant » et s’effectue à coût nul. Le but fut atteint selon la Direction et de 43, le nombre de licenciements « secs » s’est réduit à 3.

Non les Français ne travaillent pas en dilettante.

D’une part, un récent rapport de l’OCDE a montré que la productivité horaire des Français est une des meilleures du monde, avant les Américains et les Japonais. Nous travaillons peut être moins mais avec plus d’ardeur. Ceci n’est-il pas la conséquence de cela ?
D’autre part un autre rapport commandé au CES par le gouvernement Raffarin montrait qu’après la famille (quand même !), le travail est la valeur la plus importante pour les Français bien avant les amis et les loisirs.
Enfin, l’approche au travail n’est plus la même. On ne travaille plus par devoir ou par rapport à la société mais pour se réaliser en modifiant l’équilibre entre loisir et travail. Le travail pouvant être un loisir !

Depuis les années 90, ici la flexibilité, là la précarisation de l’emploi ont mis fin au sens du travail, à son statut économique et social, à sa dignité et à sa promotion sociale assurée. Comment ne pas se désinvestir du travail si on y perd l’estime de soi ? Lorsque demain je peux être viré sans avoir démérité ? Quand l’on est tiré vers le bas, ou que l’on est plongé dans un monde d’incertitudes et quand le bassin d’emploi est devenu un désert économique ou une friche industrielle. ?

Les 35 heures n’ont pas dévalorisé le travail, aucune étude n’a démontré que l’on aimait moins son emploi en y passant moins de temps.

En réalité, les salariés Français sont plus démobilisés par les emplois « off-shore », « l’outsourcing » et autres doux euphémismes pour enrober les délocalisations, les restructurations, les cessions industrielles, la violence des plans sociaux ! Ils sont démotivés lorsqu’ils se lèvent le matin pour aller faire quelque chose qu’ils désapprouvent ou qu’ils jugent absurde.
Trop souvent, le travail, a été abîmé par le management néolibéral, sacrifiant le plaisir et le savoir-faire à la rentabilité immédiate.

La diminution du temps de travail va dans le sens de l’histoire.

La réduction du temps de travail est une tendance forte dans les pays développés et sans remonter à l’époque de la limitation du travail des enfants et aux lois sociales de la fin du 19ème siècle, entre 1900 et 1970 le temps de travail global a été divisé par deux ; semaine des 6 puis 5 jours, jours fériés, congés payés et horaires hebdomadaires. Cette diminution s’est faite avec des gains de productivités inférieurs à ceux que nous connaissons depuis 40 ans.

En 1978, la commission Giraudet, à la demande de Raymond Barre, affirmait qu’il fallait baisser le temps de travail de 10 % et en 1995 la commission Boissonnat , créée par Edouard Balladur, proposait « une baisse de 20 % à 25 % du temps de travail » . Selon que l’on applique la proposition de l’une ou de l’autre commission (qui n’avaient rien de révolutionnaires !), la durée hebdomadaire devrait être de 36 ou 32 heures …

Annuellement, depuis 1992, le gain est de 135 en France selon l’INSEE, soit le même chiffre qu’en Allemagne, qui par exemple avait un temps de travail à 32 heures dans de nombreux secteurs en particulier dans l’automobile. La réduction du temps de travail était dans l’air du temps et le mérite de l’avoir réactualisé revient non pas à Martine Aubry mais à Gilles de Robien , député UDF puis UMP, auteur de la loi du 11 juin 1996 sur l’aménagement et la réduction du temps de travail.

Il faut constater qu’au lieu de profiter à tous, les gains de productivité colossaux débouchent sur un partage du travail non dit : d’un côté, ceux qui travaillent 35 heures et souvent beaucoup plus, et, de l’autre, plus de 4 millions de chômeurs et de RMIstes qui travaillent zéro heure par semaine. Et entre les deux, la foule de tous ceux et celles qui galèrent avec des emplois à 20 heures et moins par semaine. Et cette situation c’est accélérée depuis le début des années 90. Ainsi dans la société qui m’employait, la production a été multipliée par 3 alors que le personnel est passé de 1200 à 300 salariés en moins de 30 ans.

Enfin, « en 2009, la durée hebdomadaire moyenne du travail déclarée par les personnes ayant un emploi est de 37,8 heures en France métropolitaine : 41 heures pour les personnes à temps complet et 22,8 heures pour celles à temps partiel » selon le Portrait social 2010 de l’Insee. Ainsi, dans nombre d’entreprises, la durée réelle d’un temps plein est plus proche aujourd’hui des 40 heures et au-delà des 35 heures.

Les 35 heures seraient la cause du chômage.

Le chômage montait déjà avant les 35h et après une baisse due à la réduction horaire et aux emplois jeunes, il a repris sa croissance malgré les emplois aidés qui n’ont pas cessé. Lorsque durant la même période, Renault ferme une usine en Belgique ou Peugeot en Grande-Bretagne, est ce à cause des 35 heures ? .Même question et même réponse lorsque des licenciements ont lieu aux USA !.

Selon la DARES, dans un rapport remis à François Fillon en 2004, les 35 heures ont créé ou maintenu 350.000 emplois. Dire le contraire est une vue de l’esprit sauf à affirmer que les 35 heures sont à l’origine du chômage de masse qui frappe la France. (Voir en fin d’article : INSEE - Les effets de la réduction du temps de travail (RTT) sur l’emploi)

Le coût des 35 heures plomberait les finances publiques.

Il faut d’abord rappeler que la loi du 19 Janvier 2000 a mis en place une aide quinquennale pour les entreprises passant aux 35 heures. Toutefois l’entreprise devait fixer une durée collective du travail hebdomadaire à 35 heures au plus et tous les salariés devaient percevoir une rémunération mensuelle au moins égale à 169 fois le SMIC horaire.

Les aides se terminaient donc soit en 2004 ou en 2005 pour les entreprises ayant fait le choix des 35 heures en 2001. Ce que confirmait dans Le MONDE du 6 Janvier 2011 Xavier Bertrand Ministre du Travail, de l’emploi et de la santé : « D’abord, il faut savoir que les 22 milliards d’allègements de charges ne correspondent plus, depuis 2004, à une contrepartie liée à un abaissement du temps de travail à 35 heures. Il s’agit d’allègements liés au niveau de rémunération uniquement, et pas au temps de travail »

Dans une récente chronique, Alain Madelin, éditorialiste dans La Tribune, enfonçait le clou et tordait le cou à cette fable polémique relancée régulièrement par l’UMP. Selon Madelin, les exonérations de charges liées à la mise en œuvre des 35 heures, qui devaient disparaître au bout de 5 ans, furent incluses en 2003 par le gouvernement Raffarin dans un système d’exonération de charges sociales sur les bas salaires. «  C’est dire que les coûteuses exonérations de charges sociales d’aujourd’hui (22 milliards) n’ont plus aucun lien direct avec les 35 heures. » précise Madelin dans sa chronique. Et ce ne sont pas les lois Aubry qui ont subventionnés les heures supplémentaires alourdissant encore la facture des exonérations.

Les 35 heures surchargeraient le coût pour les Entreprises

Il est surprenant d’entendre que les 35 heures sont la cause de la baisse du pouvoir d’achat des salariés mais aussi du surcoût pour les entreprises. C’est soit l’un, soit l’autre ! Plus de 10 ans après, le surcoût des 35 heures (environ 11% de la masse salariale) a été amorti par une organisation plus flexible du travail, par une modération des salaires, déjà sensible avant, et les compensations financières. De nombreuses entreprises sont même gagnantes !

Malgré les fariboles distillées, les 35 heures n’étaient pas une obligation mais un abaissement du plancher déclenchant le paiement des heures supplémentaires majorées. Ce sont généralement des Conventions Collectives qui règlementaient le nombre d’H.S annuelles. Ainsi dans l’entreprise où je travaillais, le principe des 3 équipes de 8 heures a du être remplacé par 4 équipes : ce qui était possible avec 38h30 (Convention de la Métallurgie) ne l’était plus avec les 35 h non pour des raisons de coût mais parce que la Convention prévoyait un nombre maxi de 96 heures supplémentaires annuelles. Les éventuelles heures supplémentaires alimentaient un compteur que la Direction activait pour les Ponts, pour des périodes de baisse de commande et éventuellement régularisait en fin d’année sous forme de prime.

D’ailleurs le MEDEF n’est pas demandeur d’un retour aux 39 heures, car en contrepartie le Gouvernement supprimerait peut être les exonérations qui peuvent être vitales pour certaines entreprises mais pour des raisons tout autre que les 35 heures.

Les 35 heures ne sont pas l’alpha et l’oméga ni certainement pas la cause de tous les maux

Je n’ai jamais pensé que les lois sur les 35 heures étaient la baguette magique, la solution miracle, mais elles ne méritent pas non plus tous les anathèmes et les condamnations péremptoires et mensongères.
En 40 ans, aux USA, qui bénéficiaient d’une croissance forte (grâce à une vigoureuse immigration …), où il n’existe pas de règle en matière de temps de travail, la durée moyenne du travail est passée de 38,6 à 33,7 heures. Il n’est donc pas vrai de dire qu’on travaille moins en France qu’ailleurs, même si, et c’est peut être ça le génie Français, il est incontestable que l’intelligence consiste à obtenir le meilleur résultat au prix du moindre effort … depuis l’âge de pierre. L’argument de la paresse est une vieille lune de la droite, déjà serinée en 1848 pour la journée de 12 heures, mais aussi contre les premiers congés payés, les 40 heures et même l’interdiction du travail des enfants : l’oisiveté allait pourrir la société... disait le patronat de l’époque.

Lorsqu’elles ont été bien négociées, bien comprises et donc bien appliquées, les 35 heures ont été profitables aux salariés et une aubaine pour les entreprises.

Elles étaient une réponse circonstanciée au partage du « travail sauvage » et à la précarité réalisés par le marché, très favorables aux actionnaires et que subissaient et subissent toujours les salariés. Dans tous les pays, les entreprises se servent des chômeurs comme variable d’ajustement et, de fait, la part des salaires dans le produit intérieur brut a nettement baissé.
Certes, dés l’origine, et encore plus suite aux aménagements successifs, la complexité du système mérite que l’on réfléchisse sans arrière pensée, à des développements avisés, progressifs et pourquoi en allant vers les … 32 heures que défend toujours Michel Rocard.


INSEE - Les effets de la réduction du temps de travail (RTT) sur l’emploi.
Economie et statistique, n° 376-377, juin 2005, 30 pages.


En cherchant un équilibre entre baisse de la durée du travail, modération salariale, gains de productivité et aide de l’État, le processus de RTT a conduit sur la période 1998-2002, selon les estimations, à un rapide enrichissement de la croissance en emplois de près de 350 000 postes, et ceci, semble-t-il, sans grand déséquilibre financier pour les entreprises.

L’expérience française de réduction collective du temps de travail (RTT) est originale parmi les pays de l’OCDE. Les travaux d’évaluation empiriques ont joué un rôle capital dans la démarche de généralisation de la baisse de la durée collective du travail. La première loi « Aubry » a ainsi explicitement prévu de s’appuyer sur un bilan des accords effectués par les entreprises incitées à anticiper la réduction de la durée légale avant d’en fixer le cadre définitif dans la seconde loi « Aubry ».

La différence la plus importante entre les analyses ex ante et les évaluations ex post réalisées à l’initiative de la Dares sur la période récente concerne la baisse effective de la durée du travail. Celle-ci a finalement été moins forte que ce qui avait été calculé dans les exercices de simulation ex ante.

Publié le vendredi 15 avril 2011, par Claude Gentil.

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